Durant l’époque mérovingienne et carolingienne, les peuples vivent surtout en autarcie. Après la chute de l’empire romain, les routes sont abandonnées et les voyages sont périlleux. On ne peut donc pas parler à cette époque d’échanges commerciaux importants par rapport à l’alimentation. Il faut attendre la dynastie capétienne et ses 341 ans d’histoire pour voir évoluer cette situation.
Il est évident que les marchandises sont plutôt consommées sur place et que les villages vivent en autarcie. Mais les villes n’ont pas cette possibilité et surtout pour avoir le plus de variétés et de produits nobles pour les puissants, les habitants sont obligés d’importer. Alors un long chemin complexe s’organise :
Exemple du circuit du hareng de Dieppe à Paris :
– Pêcheurs,
– Marchands forains,
– Voituriers,
– Vendeurs,
– Poissonniers grossistes,
– Vendeurs en gros,
– Estalliers ou harengères,
– Consommateurs.
On n’a pas grand-chose à leur envier… Il faut tout de même savoir que le transport est soit par voie maritime, soit par chariot tiré par des chevaux (appelé le chasse-marée) remplacés dans les relais, et le tout dans un délai de 36 heures. Pas question de vendre du poisson pas frais ! Paris est à plus de cent cinquante kilomètres de Dieppe et les routes ne sont pas encore des autoroutes, alors pas question de s’endormir, on voyage de jour comme de nuit !
Pour les produits conservés comme le hareng, le délai est moins grave, c’est pourquoi, les poissons et les viandes sont souvent salées ou fumées. Mais pour les denrées fraîches, la situation se complique ; surtout que des délais de livraison sont imposés (ex. Pour Paris : poisson péché au printemps et en été, il doit être livré avant 8h00 et vendu immédiatement ; pour le reste de l’année, le lendemain). Si les conditions ne sont pas respectées, de lourdes amendes et des sanctions sévères sont appliquées. Le transport demande donc une organisation très précise.
Les bouchers ont un meilleur statut. Déjà, ils vendent un aliment plus noble, ensuite ils achètent les animaux vivants et s’occupent eux-mêmes de toutes les opérations (tuer, dépecer et vendre). La viande est donc consommée très fraîche, presque trop fraîche. Ainsi, elle est consommée le lendemain au plus tard le surlendemain de sa mort, aujourd’hui, un boucher ne vend pas une viande de bœuf qui n’a pas attendue au moins une semaine, voire quinze jours. Des conflits explosent car les animaux se rendent « à pied » sur le lieu de destination et bien sûr en route ils s’alimentent, ce qui ne plait pas toujours aux paysans sur place. Les routes deviennent des endroits stratégiques et les itinéraires sont donc établis par des accords plus ou moins explicites !
Les ventes de ces marchandises dépendent surtout des jours d’abstinence imposés durant l’année.
En ce qui concerne la catégorie végétale, de nombreux petits jardins aux abords des villes permettaient de s’approvisionner facilement.
Les céréales, afin d’être plus facilement transportées, sont souvent transformées en farine, en biscuit, en pâtes ou encore en bière.
En ce qui concerne les laitages, ils sont également souvent transformés en fromage ou en beurre. Lorsque le lait est vendu frais, surtout dans les villes, les paysans l’amènent le matin même après la traite et à l’ouverture des portes.
De nombreux produits sont exportés de pays lointains. Comme je l’explique dans mon dictionnaire des aliments, bons nombres sont originaires d’Asie et transitent jusqu’au Moyen-Orient par l’océan Indien, le golfe Persique, l’Irak et la Syrie avant d’arriver en Europe. Les moyens de transport sont donc tous utilisés, les bateaux, les chariots, les dromadaires… En fonction de la situation politique, les routes de transport se modifient, ainsi en 1291, l’État pontifical interdit de commercer avec les pays musulmans et obligent par conséquent à modifier le réseau. Ainsi, les denrées transitent par la Petite-Arménie, la Crète et surtout le royaume de Chypre. Puis, retournement de situation, la fin de la paix mongole et la destruction des routes des épices de l’Asie centrale, avant le milieu du XIVe siècle, re-modifie les itinéraires et c’est le retour des marchands latins en Égypte et en Syrie. Il n’y a pas que les conflits politiques qui peuvent modifier ces échanges commerciaux, mais la maladie. Ainsi, la peste noire qui frappe le pourtour méditerranéen dès l’hiver 1347, et décime une grande partie de ses populations perturbe le ravitaillement des marchandises.
La revente des produits se fait soit dans des échoppes fixes avec une fenêtre donnant directement sur la route et refermée par un volet de bois, soit dans des foires itinérantes. D’ailleurs, durant cette époque, les foires vont connaître leur apogée. Imaginez la ville au petit matin, elle ouvre ses portes où attendent une quantité incroyable de paysans avec leurs charrettes qui veulent vendre leur produit du jour. Après un long moment d’attente, ils s’acquittent de leur taxe de péage (eh oui, il y en avait déjà beaucoup), ils s’empressent de se rendre sur le lieu du marché. Eh, là, tout le monde y va de bon cœur, chacun crie pour attirer le chaland, de la fermière « au lait, allons vite », au vinaigrier « bon vinaigre » … Tout ce petit monde, s’époumone et dans un brouhaha collectif, chacun vient s’approvisionner.
Ainsi, le volume de circulation ne va pas cesser d’augmenter durant l’époque des Valois Directs (avec une petite pause pour cause de guerre de cent ans…), des Valois d’Orléans, des Valois d’Angoulême ainsi que des Bourbons. Les besoins des centres urbains s’accroissent et la demande ne se limite pas aux seuls produits frais, malgré tout très prisés.
Une rupture d’approvisionnement peut prendre un tour dramatique, du fait de la lenteur des transports. Par exemple, il faut deux jours pour transporter à dos de bête le blé de Castellane à Draguignan pour seulement quarante kilomètres. Cette pénurie peut entraîner des disettes et des famines.