Les « mets blancs » représentaient la catégorie lait de brebis, de vache ou de chèvre, crème, beurre, fromage.
Encore une différence de rang, le beurre et le fromage doux tirés de la crème du lait sont réservés au seigneur et à sa famille, alors que les paysans doivent se contenter d’un fromage dur et épais fabriqué avec le reste du lait. Il est parfois si coriace qu’il faut le casser en morceaux à l’aide d’un marteau avant de le manger. La conservation du lait est un problème surtout en été, il est donc transformé en fromage « formage » (vient du latin « forma » forme) car il est moulé dans une boite en bois. On moule le caillé. Pour conserver le beurre plus longtemps, il est entouré d’une feuille de chou.
A partir du XIIème siècle, les paysans du Jura se sont organisés en coopératives villageoises « les fruitières » pour mettre leur traite en commun et fabriquer d’énormes meules de comté.
Le lait de vache se trouve principalement dans les régions nord-ouest de la France, Bretagne, Normandie, Flandre maritime, là où l’herbe pousse verte. En revanche, dans les autres régions et surtout en Provence et dans le Languedoc, ce sont les chèvres et les brebis qui donnent leur lait.
Aliment méprisé par les classes supérieures, il représente le breuvage des nourrissons donc d’individus dépendants et incapables de se débrouiller seul. Il est donc réservé aux paysans, valets et enfants, car ils sont incapables de se gouverner seuls. Les médecins réprouvent le lait en déclarant qu’il affaiblit les adultes sains, ronge les dents, occasionne des caries voire peut provoquer la lèpre.
Le lait est donc transformé en fromage blanc, faisselle, fromage, crème fraiche, yaourt et beurre.
Le fromage blanc :
Il a été probablement consommé depuis le néolithique en Mésopotamie, en Palestine et en Égypte, dès les débuts de l’agriculture. Les sumériens se sont vite rendu compte que le lait exposé à l’air ambiant durcit en peu de temps et donne un état pâteux ou solide. Dans des fouilles archéologiques des poteries percées de trous pour la fabrication de fromage blanc datant de 4 000 avant Jésus-Christ ont été retrouvées vers Neuchâtel. Elles auraient servi de passoires permettant de séparer le caillé du petit lait. Pour certains historiens, la découverte des premiers fromages aurait été un pur hasard par des nomades du Moyen-Orient ou d’Asie centrale. Ils utilisaient des peaux et des organes internes d’animaux pour transformer du lait en caillé et ainsi aurait donné naissance au fromage blanc. Pendant plusieurs siècles le fromage blanc est resté un aliment principal des éleveurs et des cultivateurs. Au XVIIIe siècle, dans « l’Encyclopédie raisonnée des sciences et des métiers » éditée de 1751 à 1772 de Denis Diderot l’appelle « fromage pur » et indique qu’il est « grossier, peu lié, très disposé à aigrir et abandonné aux gens de la campagne ». Son prix peu coûteux a par la suite séduit les gens des villes. Balzac déclare : « Le fromage blanc, grâce à son prix, qui le met à la portée de toutes les bourses, est devenu d’un usage si général, qu’on le rencontre dans tous les marchés et sur les étalages de toutes les fruitières ».
La faisselle :
Bien que proche du fromage blanc, la faisselle garde sa propre personnalité. Son histoire remonte aux temps anciens. Ce fromage frais tire son nom de son mode de fabrication traditionnel, le lait caillé est déposé dans un moule en forme de panier, nommé « faisselle », ce qui permet au petit lait de s’égoutter. On obtient ainsi une texture dense et gourmande.
La crème fraiche :
La crème fraiche est appréciée très tôt par de nombreux peuples, aussi bien les populations nomades d’Asie, que les Celtes ou les Vikings. Il est assez facile d’en obtenir en laissant reposer le lait fraîchement trait et de prélever la couche épaisse de crème en surface. En Europe, elle est servie en accompagnement des fromages frais. Par la suite, on l’accommode avec les légumes et les féculents. C’est Vatel (né en 1631, mort le 24 avril 1671, pâtissier-traiteur, intendant et maître d’hôtel) au XVIIe siècle, qui donne naissance à la chantilly. Elle devient la gourmandise de tous. Au siècle suivant, elle se déguste glacée. Le Procope (ouvert en 1670 par Francesco Procopio dei Coltelli, sicilien de Palerme), célèbre café, restaurant, propose ses glaces à la chantilly, les gourmands à vos petites cuillères !
Le yaourt :
Il semblerait que l’apparition du yaourt soit la même que celle du fromage blanc. Effectivement, la fermentation du lait aurait été découverte par les gardiens de troupeaux du Moyen-Orient. Conservant leur lait dans des sacs de peau de chèvre, ils les déposaient sur le dos de leurs chameaux. Lors du voyage sous un soleil brulant, le lait était transformé en une crème piquante à cause des sucs intestinaux se dégageant du sac. L’agitation causée par les mouvements de l’animal, plus la chaleur permettaient la confection du yaourt. Le terme de yaourt vient du mot turc « yogurmak ». Ils furent les premiers à se rendre compte des effets bénéfiques de ce produit pour soigner bon nombre de maladies comme la diarrhée et les coups de soleil. Il était également utilisé comme produit de nettoyage et de beauté ! En Europe, le yaourt fait une première apparition sous François 1er (né le 12 septembre 1494, mort le 31 mars 1547, roi de France). Ce dernier souffre de troubles intestinaux. Il en fait part à son allié Soliman le Magnifique, ce qui est tout à fait normal en « politique » … Soliman lui envoie son médecin qui lui prescrit une cure de lait fermenté. Au XIXe siècle, Elie Metchnikoff décrit de manière scientifique les effets bénéfiques de ferments du yaourt entre autres dans le traitement des désordres intestinaux. Le médecin du sultan était bien en avance ! Dès 1910, la fabrication des yaourts bat son plein.
Le beurre :
Les plus anciennes traces de beurre figurent sur une plaque de calcaire de l’époque sumérienne datant de 2 500 ans avant Jésus-Christ. Elle représente la traite des vaches et la fabrication du beurre dans une grande jarre qui est roulée. Un moule à beurre a été retrouvé en 2013, dans une tourbière du comté d’Offaly (en Irlande) et date de 3 000 ans avant Jésus-Christ. Vers 1 500 ans avant Jésus-Christ, les Mésopotamiens apprennent à le baratter, en battant la crème prélevée sur le lait. Vers 1 300 ans avant Jésus-Christ, les Aryens (Indo-Iraniens issus des cultures des steppes) vivant en Inde développent la technique de clarification du beurre (ghi) afin de le conserver. Il chauffe le beurre entre 80 et 120 °. Aujourd’hui, cette technique perdure, employée par les Indiens et les peuples nomades du Sahara. Il en est de même pour la conservation à l’air sec et chaud et à l’abri de la lumière. Elle entraîne une déshydratation partielle et une fermentation ou rancissement (smen).
Dans la mythologie hindouiste, dont la déesse-vache (source perpétuelle de lait et de beurre), est Surabhî, il est dit que le monde est issu du barattage de la mer de lait. Celui-ci permet d’obtenir le beurre et un élixir hallucinogène, « l’amrita », qui pourrait être assimilé à du babeurre fermenté.
Le beurre n’est pas apprécié des Grecs et des Romains. Ils s’en servent surtout comme crème de beauté. Ils estiment que cet aliment est tout juste bon pour les peuples barbares. Les Romains propagent ce dégoût à la Gaule. Par la suite, le beurre n’est pas utilisé en cuisine, il est considéré comme la graisse du pauvre. Le lard, le saindoux et l’huile d’olive sont les références en matière grasse.
Le terme de beurre serait apparu au cours du XIIe siècle. Il vient du grec « bouturon » puis du latin « butyrum ». Sur la table d’Henri IV, on retrouve du beurre. Mais les Français ne l’apprécient toujours pas, il est majoritairement consommé les jours d’abstinence. Le mot « babeurre » vient des mots « battre » et « beurre », il est apparu au XVIe siècle. A l’origine, le « babeurre » est le bâton qui sert à battre le beurre. Il commence à gagner en popularité à partir du XVIIe siècle. Des beurres de renommé font leur apparition, le beurre d’Isigny, de Gournay, de Chartres et de Vanves. La baratte, dite « normande », permet de meilleur rendement. Elle possède des pales qui permettent de mieux malaxer la crème pour en évacuer le babeurre. Au XVIIIe siècle, le beurrier trouve sa place sur les tables. L’écrémeuse a été inventée en 1878 par Gustaf de Laval. Cette machine permet d’obtenir des crèmes concentrées en matière grasse en une heure au lieu de 12 à 36 heures, ce qui facilite la fabrication de notre précieuse matière grasse.
Le sel et le beurre : Le rajout de sel dans le beurre permet une meilleure conservation de ce dernier. Ainsi au Moyen Age, le beurre est très consommé dans le nord de la France. Seul petit hic ! La gabelle. Cette taxe sur le sel pénalise une grande partie du royaume qui par conséquent préfère fabriquer du fromage plutôt que du beurre. Effectivement, au XIIIe siècle, notre bon roi Saint-Louis (né le 25 avril 1214, mort le 25 août 1270, roi de France), puis Philippe IV (né au printemps 1268, mort le 29 novembre 1314 , roi de France) par la suite, instaurent une taxe provisoire sur le sel pour financer les croisades. Taxe provisoire qui devient permanente sous Philippe VI (né en 1293, mort le 22 août 1350, roi de France) et fait ainsi du sel, un monopole d’État. Les familles sont obligées d’acheter une quantité minimale de sel chaque année dans les greniers royaux, on l’appelle « le sel du devoir ». Sous Jean II le bon (né le 26 avril 1319, mort le 8 avril 1364, roi de France), la taxe est terriblement augmentée pour payer la rançon du roi, prisonnier des Anglais. Une région échappe à cette taxe : les irréductibles Bretons ! Eh oui, la Bretagne ne fait pas partie de la France lorsque l’impôt est exigé. Le sel y coûte vingt fois moins cher que dans les autres régions. Par conséquent, pas de privation et le beurre salé continue d’y être fabriqué. Lorsque Anne de Bretagne (née le 25 janvier 1477, morte le 9 janvier 1514, reine de France) épouse successivement Charles VIII (né le 30 juin 1470, mort le 7 avril 1498, roi de Franc) et Louis XII (né le 27 juin 1462, mort le 1er janvier 1515, roi de France), il est stipulé dans son contrat de mariage, que tous ses privilèges, droits et coutumes restent inchangés, ainsi toujours pas de gabelle pour les Bretons ! Bien sûr, la contrebande s’organise entre la Bretagne et ses voisins limitrophes. Les « faux sauniers » risquent des condamnations lourdes (galères, voire peine de mort) s’ils sont pris en flagrant délit de revente. En 1675, la rumeur de l’imposition de la gabelle en Bretagne est à l’origine de la fameuse révolte des Bonnets rouges, leur slogan : « Vive le Roi… sans gabelle et sans édits ! ». Elle est abolie le 1er décembre 1790 et entraîne la ruine de nombreuses familles bretonnes de « faux sauniers ». Heureusement pour nous, le beurre salé a survécu ! Quant aux Bonnets rouges, ils ont refait surface en octobre 2013 pour marquer la rébellion contre une nouvelle imposition : l’installation des portiques de l’écotaxe.