Les Mérovingiens : 481 - 768
Les Mérovingiens : 481 - 768
Pas encore d’art de la table, on prend ses aliments dans des plats en commun avec un couteau ou ses doigts.
Les moments de fête où se partage le repas se nomme « le convivum ». Parfois, pouvant durer plusieurs jours, les festivités s’invitent entre la dégustation des plats. Souvent dans le but de conclure des alliances, (ad convivum ou munera), des cadeaux sont échangés, la boisson coule à flot et la nourriture est abondante. Il peut arriver que durant un « convivum », l’ivresse entraîne certains convives à assassiner ou même empoisonner ses propres invités, ce qui ne choque pas forcément plus que ça à cette époque !
De nombreuses fêtes, baptême, mariage, investiture, sont également l’occasion de festoyer. Accepter une invitation signifie accepter le signe public d’une entente ou de la paix entre les convives ou d’une réconciliation entre les ennemis.
Les princes barbares aiment ripailler avec leurs armées qu’ils se doivent d’alimenter et d’abreuver. Ces réunions stratégiques permettent également de faire connaître des décisions politiques ou militaires.
Manger coucher à la mode gallo-romaine va petit à petit s’effacer pour laisser place aux repas assis « à la barbare » ; même si à l’époque de Grégoire de Tours (vers 538-594), les évêques et leur entourage, d’origine gallo-romaine, préfère encore s’alimenter coucher. Cet usage va donc disparaître dès le VIe siècle pour laisser place aux bancs installés autour de tréteaux. Délaissant les villas romaines, les mérovingiens construisent des grandes halles de bois qui s’adaptent à cette nouvelle méthode de festoyer.
Dans ces rassemblements, l’essentiel est de manger et de boire ensemble, ce que l’on ingurgite est secondaire. Le raffinement n’est donc pas à l’ordre du jour, la quantité seule est importante.
C’est pourquoi, il est difficile de savoir exactement ce qui est servi lors de ces festivités. Au vu des critiques de l’Église par rapport à ces débauches, la boisson semble même prendre le pas sur l’alimentation… Ce qui n’empêche pas ses adeptes de renforcer leurs liens par des repas fort arrosés…
La mise en scène du repas de cérémonie se codifie et se peaufinera aux époques suivantes.
Les Carolingiens : 768 - 987
Les Carolingiens : 768 - 987
On peut dire que le banquet fait réellement son apparition. L’origine du mot banquet est banc, car les convives étaient installés sur des bancs lors des repas.
Tout comme à l’époque mérovingienne, les banquets servent à marquer des occasions heureuses, comme les fêtes religieuses, l’accueil d’un hôte prestigieux, la fin d’une campagne…
Le banquet est toujours une pratique sociale et politique. Le souverain en prodiguant nourriture et boissons à ses hommes, en particulier ses guerriers cherchent à les fidéliser et à établir avec eux des liens de familiarité et d’amitié mais aussi de dépendance. Chaque seigneur reproduit dans son château cet acte en nourrissant les siens. Ainsi ces rites de messe, d’hommage ou de baptême sont aussi bien des rituels politiques que des divertissements.
Jusqu’au Xème siècle, le banquet se déroule dans un bâtiment distinct, qui par sa taille et le soin apporté à sa construction domine l’habitat. Avec l’avènement des châteaux où les pièces de vie sont regroupées, la salle des fêtes est soit installée dans un bâtiment spécifique au cœur de l’enceinte défensive, soit dans une pièce de la grosse tour ou du donjon, le plus souvent au 1er étage. Dans les communautés religieuses, on retrouve également une pièce de festivité, le réfectoire monastique ou canonial, qui abrite aussi les repas quotidiens des communautés. Les membres du clergé y célèbrent les fêtes du calendrier liturgique. Là aussi, des bancs sont installés autour de tréteaux pour accueillir les convives, surtout lors des collations festives, appelées « caritas » c’est-à-dire « charité », qui consiste à donner aumône et amour.
Les abbayes royales ou évêchés accueillent également les rois et leur cour lors de leurs différents voyages. N’oublions pas qu’à cette époque, la royauté est souvent en mouvance.
Bien sûr, lorsque le temps s’y prête, les banquets peuvent être installés à l’extérieur.
Parfois, les grands reçoivent quelques invités de prestige dans des pièces nommées « camerae » (ancêtre du mot « chambre ») ou « solarium ». Ces convives honorés partagent l’intimité de leur hôte.
Le lieu principal de préparation du repas reste le foyer central de la grande salle de festin où l’on retrouve le gril ou le grand chaudron (de fer ou de bronze). Il trône au milieu de l’âtre. Cependant, des plats peuvent également être préparés en dehors de la salle même si la cuisine n’est pas encore d’actualité.
Le rituel du banquet prend sa forme si caractéristique connu au moyen-âge. Le maître de maison (roi, seigneur ou évêque) trône en majesté et est visible de tous les convives. Les « officiers de bouche », dont la fonction naît sous les carolingiens, jouent un rôle essentiel. Ce ne sont pas de simples domestiques, les bouteillers (qui servent la boisson) et sénéchaux (qui veillent à la nourriture) sont de grands serviteurs du prince. De haute lignée, leur service à la table royale est un « honneur ». C’est une charge officielle, un revenu et une reconnaissance. Non seulement, ils officient lors des grands banquets mais ils ont également en charge l’administration d’une partie des terres domaniales, en assurant l’approvisionnement de la table royale en vin, en bière ou autres denrées alimentaires.
Les femmes sont pleinement intégrées à ces repas et l’épouse du seigneur joue également un rôle important.
Les Capétiens : 987 - 1328
Les Capétiens : 987 - 1328
Tout comme avant, ces festins ont pour but de renforcer les relations, de favoriser les échanges, de rassembler dans un but de partage, de sceller un accord ou encore de célébrer un événement public ou privé. C’est également un moyen de montrer son rang social, éblouir ses convives et ainsi marquer sa position. Ces banquets prennent une ampleur telle que vers la fin du Moyen-Age, les soins apportés aux préparatifs deviennent un véritable savoir-faire.
Les banquets se codifient de plus en plus et festoyer devient un art.
L’organisation du banquet :
Tout d’abord, le sol carrelé ou en terre, est recouvert de foin, de paille, de joncs et de fleurs odorantes d’où se dégage un agréable parfum. On retrouve également des fleurs sur la nappe.
En dehors des hauts nobles, installés sur des sièges individuels, les convives sont installés sur des bancs qui eux-mêmes sont recouverts de coussins.
La disposition à table des convives est très importante. Lors des grands banquets peuvent être convoqués aussi bien des grands, des membres de la petite noblesse, des prélats, des simples prêtres, des riches marchands, des paysans aisés… et chacun en fonction de sa position avait sa place.
Les convives s’installent à table que d’un seul côté pour voir les attractions.
Les tables sont composées d’une planche disposée sur des tréteaux, (d’où l’expression « dresser ou mettre la table »). La table ne permettant pas d’afficher son standing, les nappes et la vaisselle remplissent cette fonction.
Les nappes sont tissées en chanvre ou en lin, elles se doivent d’être très blanches, éclatantes et les plus épaisses possibles. Le blanc symbolise la pureté et par conséquent l’innocence, la virginité et aussi la paix (en opposition au rouge symbole du sang et de la guerre). Les nobles en possédent beaucoup. La nappe est pliée en deux d’où son nom de doublier. On y ajoute une longière. C’est une longue bande de tissu placée du côté des convives et qui leur permettent de s’essuyer les mains et la bouche durant le repas. Les serviettes de table ne sont pas encore d’actualité.
La vaisselle ne sert pas à manger. Seule la nef, attestée depuis 1239, (objet précieux appartenant au maître des lieux) est posée sur la table. En forme de navire, en or ou en argent ornée de pierreries et d’émaux, elle détient les ustensiles de son repas, son gobelet, sa cuillère, son couteau ainsi que le sel et ses épices préférées. Il peut également s’ajouter le tailloir, en bois ou en métal, de forme ronde ou quadrangulaire, qui accueille le tranchoir. Le reste de la vaisselle (coupes, bassins, aiguières « carafes », assiettes) est entreposé sur le buffet et peut être admiré par les invités. Pour les plus riches, elle peut comporter des milliers de pièce en argent avec de l’or incrusté.
L’usage des couverts et des assiettes n’existe quasiment pas. Pour les premiers, nombreux sont ceux qui se servent de leur couteau de tous les jours qu’ils conservent sur eux. Pour les assiettes, on se sert de tranchoir.
La vaisselle en étain : Bien que cette matière soit connue depuis l’Antiquité et très recherchée entre autres par les Romains, son utilisation est très limitée jusqu’au XVIe siècle. Elle sert principalement pour l’iconographie et pour la noblesse. Edouard 1er, roi d’Angleterre se vantait de posséder plus de trois cents assiettes en étain.
Les tailloirs (plaque ronde ou quadrangulaire) où sont déposés les tranchoirs (tranche de pain à la mie compacte) sont partagés avec son voisin (surtout pour ceux du bas de table). Ce qui a donné son origine au mot copain, on partage le pain. Dessus, ils déposent les aliments solides pris sur un plat déposé en commun sur la table avec leur couteau ou trois doigts.
Le service des vins : le vin et l’eau (mis dans des aiguières) sont versés dans des gobelets ou coupes de métal. Pour boire, il faut appeler l’échanson ou l’officier du commun qui sert le convive en mélangeant l’eau et le vin selon son désir. Le même gobelet sert à plusieurs invités. Hormis les grands seigneurs qui ont leur propre service de table, les autres se partagent tout.
Le déroulement d’un banquet :
On sonne le cor pour appeler les convives à s’installer. Chaque individu doit se laver les mains avant de prendre place. Les serviteurs passent alors avec un bassin et versent de l’eau. Cette pratique s’appelle « corner l’eau ». Au XIIe siècle, on trouve auprès de la porte de petites fontaines destinées à cet usage. Durant le repas, des écuyers viennent avec un bassin de métal « le plat à laver » où les invités peuvent nettoyer régulièrement leurs mains.
Le repas durant le banquet est divisé en « services » ou « assiettes ». Chaque service correspond à un ensemble de mets apportés en même temps sur les tables. On peut en dénombrer entre 3 et 5 pour des manifestations ordinaires, mais il peut y en avoir jusqu’à une dizaine ou plus… Quel appétit !!! Cependant, il faut savoir que les participants ne font pas honneur à tous les plats présentés. De plus, n’oublions pas qu’en fonction de son rang, tout le monde ne mange pas la même chose, donc il y a déjà une première répartition. Là aussi une hiérarchie s’instaure, le maître des lieux a les plats les meilleurs et les plus copieux, et le grade détermine la distribution pour les autres.
Exemple de la composition d’un menu de banquet :
1er service, L’apéritif :
Un apéritif somme tout copieux, ce ne sont pas des cacahuètes ou des pistaches mais plutôt des fruits de saison (Prunes, raisins, pèches…), des échaudés (gâteaux en pâtes à pain cuits dans l’eau bouillante), des mets salés (pâtés, saucisse de sang « boudin », saucisses…). Le tout accompagné de vins doux ou légèrement liquoreux (grenache, muscat, malvoisie) ou encore vins de Grèce, de Crête ou de Chypre, et bien sûr, l’hypocras, boisson préférée de cette période.
Pourquoi déguster les fruits en début de repas ? On retrouve ce conseil aujourd’hui chez certains diététiciens. Pour les médecins, la digestion est importante. Ce n’est pas étonnant avec ce que peuvent ingérés nos aïeuls !!! Certains fruits considérés comme aliment « froid et humide » sont très longs à digérer, donc en les prenant au début du repas, ils ont le temps d’être assimilés puisqu’ils arrivent en premier dans l’estomac.
Maintenant que notre premier service fait sa route dans les nobles corps, arrive le second service.
2ème service, les potages (potaiges) :
Ce ne sont pas nos soupes de légumes qui ont la particularité de nous faire grandir !!! En fait, ce terme désigne les aliments cuits dans des « pots », c’est-à-dire des viandes, gibiers, volailles accompagnées de légumes « nobles » qui mijotent dans des sauces.
Quelques potages :
– Brouets (viandes cuites dans un bouillon),
– Cretonnés (creton, morceau de lard grillé),
– Comminées (préparation avec du cumin),
– Héricot de mouton (sorte de ragoût servi avec du navet). En fait, le terme héricot vient d’ « haricoter » qui signifie couper en petits morceaux (entre autre la viande de mouton).
Voilà, après une bonne soupe qui les a mis en appétit, les choses sérieuses peuvent commencées.
3ème service, les rôts :
N’oublions pas que les rôts ne peuvent être servis que les jours gras. Les rôts sont des viandes cuites à la broche. On retrouve du gibier, des volailles domestiques ou sauvages, des animaux d’élevage. Dans les banquets les plus prestigieux, peuvent être servis des cygnes (cines), des paons, des cigognes (soigoingnes). Ces animaux peuvent être reconstitués pour épater la galerie.
A côté des rôts sont servis des poissons cuits à la broche, au four, sur un grill ou même bouillis. La différence avec les poissons servis dans le « potage » est leur temps de cuisson qui doit être rapide, ce ne sont pas des plats mijotés.
Après avoir pu apprécier ces différents mets arrive enfin le temps des douceurs.
4ème service, la desserte :
Voilà l’heure des gourmands. Pas de profiterole (il ne connaissait pas le chocolat, dommage !!!), non, nos ancêtres se régalent avec des compotes, des flans, des tartes, des crèmes, des rissoles (sorte de beignets salés), des mistembres (beignets à la pâte levée, sucrées de miel), croûtes dorées (comme notre pain perdu), certains fruits digestes dit « fermant » pour l’estomac en fin de repas (poires, nèfles, coings). Des fruits secs et du fromage peuvent compléter la desserte.
Ouf ! on arrive au bout de cette mangerie (ce dit des repas abondants), et encore ce n’est pas l’exemple d’un « grand » banquet !!
Une fois l’issue terminée, les grâces sont récitées, les tables débarrassées, les serviteurs récupèrent les victuailles restantes afin de les distribuer aux pauvres et aux animaux. Mais le festin n’est pas terminé. Pour achever définitivement l’appétit féroce de ces invités, on propose un dernier service le « boute-hors », c’est-à-dire le « pousser dehors », mais attention, n’y est convié que les membres d’honneur. Dans l’appartement privé de l’hôte, sont partagés le vin et « épices de chambre » (gingembre, coriandre, fenouil, anis…) et des fruits (pignons, coings, noisettes, pistaches…) confits dans du miel et plus tard dans du sucre. Ces douceurs confectionnées par des apothicaires sont considérées comme des médicaments facilitant la digestion. Quelques « friandises » (venant du verbe « frire » le terme désigne des mises en bouche qu’elles soient salées ou sucrées) complémentaires peuvent s’ajouter à ces douceurs, les dragées, des confitures épaisses, des pétales de roses confits…
Petite particularité durant le repas du banquet, sont servi des entremets. Ce sont des plats très hétéroclites servis « entre les mets » en général après les rôts. Ces mets sont animés par des divertissements (jongleurs, musiciens, troubadours, acrobates…). Ces plats peuvent comportée de la fromentée (bouillie de froment dorée en jaune par du safran), de la viande, des œufs, de la purée de pois cassés, de la lamproie… La démesure n’offusquant pas durant cette période, des entremets plus prestigieux peuvent être exécutés en fonction de l’importance de la cérémonie, des pièces montées monumentales, des pâtés de taille démesurée, la représentation d’une maquette de château-fort, des animaux fantastiques, des scènes bibliques… Bref, rien n’est trop beau pour épater.
A partir du XIème siècle, les « camerae » et les « solaria » sont aménagées avec soin. A distance de la salle, les aliments que l’on y sert sont plus prestigieux et goûteux, confectionnés à partir de produits importés en petites quantités, comme les confiseries et les vins « herbés » à base d’épices. Seuls des invités triés sur le volet peuvent profiter de cette intimité avec le seigneur.
Pour le quotidien, les aliments sont servis, dans des plats ou d’autres récipients, soit en étain, en cuivre, en céramique ou en bois noble. La vaisselle fait de matériaux nobles est réservée aux banquets. Les couverts, cuillères, couteaux, louches sont fabriqués dans les mêmes matériaux. La boisson est transvasée dans des ampoules de verre ou des brocs métalliques puis servie dans des coupes en métaux précieux, en bois finement décoré ou en verre.
A partir du Xe siècle, les lieux de préparation des plats commencent à se faire dans des cuisines. Elles sont un signe du statut social de son possesseur. C’est donc à l’extérieur que vont être construits brasseries, fumoirs et fours. Ces structures sont souvent distinctes, ainsi le four, où l’on cuit surtout le pain, n’est pas la cuisine. Ces constructions restent éloignées de l’habitat, construit majoritairement en bois, la crainte de l’incendie reste omniprésente. C’est pourquoi le défi des cuisiniers est d’arriver à servir les plats chauds, malgré la distance qui les sépare du lieu de fête. Ils peuvent soit recouvrir leur plat d’un autre plat, cet usage est à l’origine de l’expression « mettre le couvert », soit il passe par un passage couvert ; un autre privilège de la table des puissants qui perdure pendant des siècles.
Dès les XIe – XIIe siècle, le four ouvert est remplacé par une cheminée maçonnée, murale ou centrale.
Quelques ustensiles de cuisine :
1) Mortier
2) Agitateur
3) Pilon à viande
4) Ecumoir en métal
5) Couteaux
Pour les paysans, durant de longs siècles, le foyer est au centre de la maison. Installé dans la pièce principale, voire unique, il est souvent à même le sol, muni de tessons de poterie ou d’une dalle de pierres ou d’une sole de briques ou de carreaux, servant à la fois de source de chaleur et de lumière. Le repas quotidien est préparé dans le pot avec les ingrédients dont on dispose, souvent pas grand-chose… L’évacuation de la fumée se fait soit par la porte, soit par la fenêtre, soit par des fissures dans le mur ou dans le toit, autant dire trop peu et l’air est souvent irrespirable. Parfois, un trou dans la couverture au centre du foyer permet d’éviter la fumée mais à contrario laisse le vent et la pluie envahir l’habitacle. Il faudra attendre le XVe siècle pour voir apparaître les cheminées murales. Ces foyers paysans accueillent le chaudron en métal, de toutes tailles, de toutes formes et de tous apprêts. Petite évolution, à partir du XIIIe siècle, se substitue au pot que l’on plaçait sur un trépied, différents récipients tel que le « coquemar », petit pot globulaire muni d’une anse, des pots tripodes, ou encore la marmite à deux anses permettant de la suspendre à la crémaillère. Quant au four, il reste l’apanage du seigneur qui perçoit les banalités et ainsi ne souhaitent pas voir les paysans cuire leur propre pain à leur domicile !
Valois Directs : 1328 - 1498
Valois Directs : 1328 - 1498
Les banquets restent similaires à l’époque capétienne, si ce n’est les plats qui deviennent de plus en plus extravagant. Privilège des seigneurs, les festins sont à la fois l’occasion de conclure des contrats ou de fêter des évènements religieux, baptêmes, funérailles, relevailles, mariage, fêtes diverses comme Noël, Pâques, Pentecôte, Fête-Dieu. Quel que soit son échelle sociale, ces journées festives permettent d’améliorer le quotidien et de se réunir entre amis ou en famille.
Si le terme « banchetum » qui désigne le banc sur lequel s’asseyent les convives, n’apparaît qu’au XVe siècle, les festins qui sortent de l’ordinaire sont une réalité durant cette époque. Au XVe siècle, la montée en puissance des États princiers fait du banquet un instrument de propagande politique. Ainsi, la cour de Bourgogne est réputée pour ses banquets à thème, comme celui du Faisan, organisé en 1454 qui met en scène les projets de croisade de Philippe le Bon (projet qui ne se réalisera jamais !). Ce festin se déroule pendant plusieurs jours, entre les services (qui comprennent bien sûr plusieurs plats), on y présente des entremets (environ 24), constructions artificielles représentant des scènes, des objets ou des monuments ou bien performances dramatiques, qui se réfèrent aux projets ducaux de croisade (gigantesques pièces montées figurant des tours, des châteaux, des navires). Autre banquet vertigineux, celui du camp du Drap d’Or, il est organisé en 1520 par François 1er qui souhaite s’associer avec le roi d’Angleterre Henri VIII, roi contre son rival Charles Quint, roi d’Espagne et empereur du Saint Empire Germanique.
Les entremets sont l’enjeu de toutes les extravagances possibles, des décors très spectaculaires, des mises en scènes sont créés pour épater et surprendre les convives. D’imposantes maquettes de châteaux forts, d’animaux fantastiques, de scènes bibliques, d’épisodes de guerre ou de croisade sont ainsi représentées lors du festin, avec toujours comme seul objectif, « étaler » la puissance et la richesse du maître de maison. La forte impression créée par ce type d’entremets chez ceux qui en sont les témoins est en effet véhiculée dans toute l’Europe. Les chroniqueurs de cette époque ne manquent pas eux non plus, de propager par écrit et dans les moindres détails, cette débauche alimentaire…
La disposition lors du banquet reste un vrai « casse-tête ». Les hôtes de marque entourent le maître de céans, les autres convives sont placés en fonction de leur mérite et de leur âge. Réunir ses invités par couple et en tenant compte des sympathies réciproques, s’imposent plus qu’aujourd’hui puisqu’ils devaient partager écuelle et verre ; c’est ce qu’on appelle « manger à la mode de France », « chacun ayant une dame ou une pucelle à son écuelle ». Le convive qui a l’honneur de découper la viande se voit obligé d’utiliser ses doigts puisque la fourchette ne fait son apparition qu’à partir du XVIe siècle. Les mains constamment sales sont essuyées sur les « longières », nappes repliées sur la table qui servent de serviettes.
Le service à la française est une spécificité des banquets. Plusieurs plats sont servis en même temps, des plats différents en fonction de son emplacement (il valait mieux être placé au plus près du seigneur plutôt qu’en bout de table, la qualité des mets n’étant pas aussi raffinée…). Lorsque ces derniers sont retirés, une autre succession de mets différents et variés sont amenés et ainsi de suite jusqu’à la fin du repas. Ce service dit « à la française » par les historiens durera jusqu’au XIXe siècle pour laisser place au service à la russe que nous connaissons si bien puisque c’est celui que nous pratiquons aujourd’hui qui fait partager aux convives la même succession de plats.
La vaisselle de table devient de plus en plus luxueuse. Lors des successions, elle fait partie de l’héritage et est inventoriée. Ainsi des inventaires provençaux donnent quatre types principaux de récipients, les grands plats où sont servis les mets collectifs, les tailloirs où sont déposés les aliments solides, les écuelles pour les soupes et les gobelets ou coupes pour le vin et l’eau. Ce qui différencie le statut social des seigneurs restent la richesse avec laquelle sont composés ces plats. Ils peuvent être en bois brut ou au contraire en argent décoré et ciselé. Si le tailloir est souvent partagé, surtout lors des banquets, l’écuelle creuse peut être individuelle.
Le gobelet de verre, le « gottu » est souvent collectif. Si dans les auberges, il est de peu de valeur, chez certains particuliers, il est en métal et peut avoir quelque prix. L’amélioration du niveau de vie et les progrès technologiques à partir du XIVe siècle, on permit un emploi de plus en plus fréquent de l’étain pour la vaisselle. Il remplace ainsi le bois et l’argile pour la réalisation des articles de maison. En revanche, le couteau reste la propriété de son utilisateur, on le sort pour manger même lorsque l’on est invité. Le seigneur de son côté, a des officiers et des pages qui se chargent de couper les aliments. Le couteau reste l’instrument essentiel du manger.
La serviette de table originaire de Venise revient au XVe siècle. Revient car à l’époque romaine, il est d’usage d’apporter sa serviette lors d’une invitation d’y déposer les cadeaux faits par l’hôte à son départ. Tissée à Beauvais, Troyes et Reims, ces belles toiles blanches damassées deviennent une spécialité de la cité des Doges. Charles VIII venu se faire sacrer le 30 mai 1484 à Reims reçoit des échevins quatre douzaines de serviettes. Un cadeau de roi car seul le souverain se lave les mains entre les plats dans un bassin en or.
Les banquets sous les Valois Direct sont plus actés sur le visuel que sur le goût. Quand le cuisinier décide, après les avoir cuits, de revêtir les oiseaux de leurs plumes, ou les mammifères, même de grande de taille, de leurs poils, il recherche avant tout le regard étonné et amusé des convives, qui deviennent spectateurs du banquet. Maestro Martino donne une recette d’œufs de truite transformés en petits pois et une laitue de citrouilles. Il cuit un seul pigeon, mais il le travaille pour donner l’illusion qu’il y en a deux. Apparaître, déguiser, sembler sont des artifices recherchés par la cuisine aristocratique de cette période. Ainsi, ce jeu de décomposition et de recomposition laisse peu de place à la qualité gustative des ingrédients. Le tape à l’œil gastronomique est assaisonné d’épices luxueuses et couteuses montrant une fois de plus, la richesse de l’hôte !
En dehors des cuissons dont l’usage de matériaux résistant au feu est primordial, le bois tient une place considérable dans la vaisselle de cette époque. Salières et saloirs, vinaigriers, seaux à puiser, maies (coffre à pain, table de pressoir) à pétrir ou blutoirs, plots à découper, cages à fromages, planches sur lesquelles on modèle les pains, couvercles de pots, ou écuelles servant à cet usage, louches et cuillères à pot sont façonnées en bois.
Pour les paysans, peu de grands changements par rapport à l’époque capétienne, chacun tire son morceau au plat et boit au pot commun. Le chaudron au milieu de la pièce est alimenté en fonction des récoltes cueillies et souvent très maigre.
Valois d'Orléans : 1498 - 1515
Valois d'Orléans : 1498 - 1515
Une fois de plus, en seulement 17 ans de règne de Louis XII, pas de changement spectaculaire entre les Valois Direct et les Valois d’Angoulême.
Valois d'Angoulême : 1515 - 1589
Valois d'Angoulême : 1515 - 1589
Le banquet traditionnel tel qu’on le connaît s’efface pour laisser place à des festins aristocratiques somptueux et riches.
Ainsi, on voit une certaine évolution dans l’art de la table. Selon les sources que j’ai lues, la serviette aurait été connue sous Charles VIII, mais d’autres attribuent sa venue en France à Catherine de Médicis. Les princes qui l’adoptent la nouent autour du cou pour ne pas salir leurs immenses fraises blanches tuyautées. Les serviettes sont parfois trop courtes pour attacher les extrémités, d’où l’expression « avoir du mal à joindre les deux bouts ». Mais une mode chassant l’autre, elle finit par tomber sur les genoux en 1685. Le gentilhomme « servant » la présente alors au monarque. Le reste du temps, il garde la serviette sur l’épaule. Sous Louis XIV, elle descend sur le bras gauche, tradition conservée aujourd’hui.
Autre litige, Catherine de Médicis (1519-1589, reine de France) a fait découvrir la fourchette, mais j’ai lu que Charlotte d’Albret (née en 1480 ou 1481, morte en 1514, sœur de Jean III de Navarre (roi de Navarre) et épouse de César Borgia) possède trois fourchettes dont l’utilisation ne sert que pour les fruits. Une autre version atteste la découverte de la fourchette à Henri III (3ème fils de Catherine de Médicis, roi éphémère de Pologne), lors de son retour de Varsovie pour la France en passant par l’Italie. Cet objet en or le fascine, il décide de le ramener et tente de l’imposer au Louvre à ses mignons et à ses sujets. Mais cet objet rappelle trop la fourche du diable et en cette période de guerre de religion, elle n’est pas la bienvenue. Henri IV, qui la juge trop efféminée pour ses grosses pattes habituées à manier l’épée, ne s’en préoccupe guère. Quant à ses successeurs, ils mangent toujours avec leurs doigts. Lorsque Louis XIV voit ses petits-enfants arriver à table avec une fourchette, il éclate de rire, déclare sa belle-sœur la Princesse Palatine, Élisabeth-Charlotte de Bavière (née le 27 mai 1652, morte le 8 décembre 1722, épouse de Philippe d’Orléans).
Catherine de Médicis, digne héritière de sa lignée, a également amené dans ses valises le verre de Murano. Ce qui n’est pas pour déplaire aux goûts de luxe de son beau-père, François 1er…
C’est l’apogée de l’art Italien, la Renaissance en France. Depuis la fin du XVIe siècle, les Italiens débarquent sur nos côtes de nombreux ustensiles facilitant la cuisine. On découvre les tournebroches automatiques, les rôtissoires en forme de coquille, les soufflets de peau qui remplacent les tuyaux à bouche pour attiser le feu ; mais aussi des tables de salle à manger massives et sculptées qui commencent à décorer les salons et qui envisagent sérieusement de chasser les tréteaux au débarras. Mais il faudra attendre le XVIIe siècle pour que cela se concrétise réellement. A tout cela s’ajoute toutes ces décorations qui embellissent les tables, une armée de verrerie importée notamment de Murano. Nos princes se délectent de cette magnifique vaisselle crée par les artistes. François 1er a d’ailleurs demandé au florentin Benvenuto Cellini (né le 3 novembre 1500, mort le 13 février 1571, orfèvre, sculpteur, fondeur, médailleur, dessinateur et même écrivain) de ciseler sa vaisselle.
La vaisselle devient un placement. Les belles pièces d’argenterie font parties de l’héritage mais pas que… Les caisses de l’État sont toujours vides, les guerres assèchent le trésor public alors pour remédier à ce délicat souci pécuniaire, des ordonnances royales ont à plusieurs reprises enjoint de remettre sa vaisselle précieuse à la Monnaie en échange de billets de rente, ce qui fut le cas en 1525, après le désastre de Pavie, pour régler la rançon de François 1er exigée par Charles Quint. Mais, pas de souci, l’Italie a la solution pour que nos seigneurs ne remangent pas dans des « tranchoirs ». Il nous propose des plats en faïence. Le nom vient de « Faënza », ville proche de Ravenne où naquit l’art de couvrir la poterie d’une couche d’émail. Un Français, Bernard de Palissy (né vers 1510, mort en 1589 ou 1590, potier, émailleur, peintre, artisan verrier et écrivain) essaie de trouver le secret des artistes italiens à ses dépens, meubles brûlés, famille sur la paille. Il réussit à faire des plats décoratifs et d’ornement, mais où l’on ne peut rien entreposer. Ces travaux ne demeurent pas vains puisqu’à partir du XVIIe siècle, plus de 1300 faïenceries régionales produisent des pièces. Leurs productions de plats grands et petits, blancs ou décorés remplacent petit à petit la vaisselle en métal. L’étain n’est pour autant pas délaissé, il atteint même son âge d’or. Il entre dans la composition des arts de la table et liturgiques (comme la confection des candélabres). L’art de la fusion devient si sophistiqué qu’on l’utilise même pour réaliser de véritables œuvres d’art, comme les crémiers, les théières ou encore les soupières.
La petite histoire : François 1er qui rêve de belles manières et de splendeurs, veut éblouir ses convives le jour des funérailles de sa belle-mère, Anne de Bretagne (épouse des rois Charles VIII et Louis XII). Elle décède la même année que son mariage en 1514 avec Claude de France. Pour la première fois, chaque convive voit devant lui, une assiette, pas en or mais en argent, plus discret pour une fête de deuil. Fini, les pains tranchoirs où l’écuyer tranchant disposait une fois désossées les volailles ou autres pièces de viande ou de poisson.
Une nouveauté modifie les techniques de cuisine, le potager. Non, non, ce n’est pas l’endroit où l’on plante nos légumes… Nouveau plan de cuisson, il s’agit d’un ouvrage en maçonnerie à hauteur d’appui, parfois recouvert de carreaux, sur lequel sont scellés des réchauds alimentés par de la braise ou du charbon de bois ; contrairement au feu ouvert de la cheminée, le potager permet d’économiser le combustible en concentrant la chaleur sous l’ustensile de cuisine. Ainsi, le cuisinier peut avoir plusieurs intensités de feux, il peut en même temps, réserver une cuisson, fricasser, mijoter… Ajoutons que la cuisson au potager est moins physique, le cuisinier reste debout et grâce à la fenêtre, l’évacuation de l’oxyde de carbone se fait mieux. Au XVIIIe siècle, des potagers portatifs en fonte apparaissent, ce sera un marqueur de la bourgeoisie.
Bartolomeo Scappi, né vers 1500, mort le 13 avril 1577 est un cuisinier italien de la Renaissance. Employé par le cardinal Lorenzo Campeggio (7 novembre 1474 – 25 juillet 1539) il a l’honneur en 1536 de servir un somptueux banquet pour Charles Quint (né le 24 février 1500, mort le 21 septembre 1558, roi des Espagne, duc de Bourgogne, Empereur de Saint-Empire). Bartolomeo qui usa du pseudonyme de Platine de Crémone, explique ainsi la cuisine :
« Il est nécessaire de connaître le plan et la façon de construire une cuisine, qu’elle soit particulière ou destinée à une collectivité et de se procurer toutes sortes d’objets indispensables à son fonctionnement. La cuisine doit être placée, de préférence, dans un endroit éloigné et préservé du public. Elle doit être édifiée sur un terrain plat et surtout elle doit être gaie, aérée, bien distribuée, avec des cheminées hautes et larges. Les manteaux doivent être vastes, avec des étriers de fers et des clefs de chaque côté. Il faut aussi fixer quelques fers au mur, afin d’y attacher les fers ». On organise ainsi un lieu où travaillent parfois une dizaine d’hommes. D’abord, il faut évacuer les odeurs, les fumées de bois, et mettre donc les feux près des fenêtres. Les cheminées sont progressivement surélevées, les cuisiniers travaillent debout. Le tournebroche est une pièce maîtresse. Et il ne faut pas moins de trois ou quatre hommes pour soulever une marmite de son feu, et encore est-ce au moyen d’un levier perfectionné. Bartolomeo Scappi recommande une pièce fraîche, pour stocker « le saindoux, le beurre, le lard, tous les aliments à saveur forte, ainsi que la crème et le lait ».
Le service à la française reste à la mode. Plusieurs plats sont donc présentés aux convives à chaque service et mieux vaut être au plus près de l’hôte qu’en bout de table… En revanche, il prend une forme plus classique, potages et entrées de potage au premier service ; rôt (c’est-à-dire rôti), accompagné de salades et éventuellement d’entremets (les moments où les nécessités du service interrompent provisoirement le repas, laissant libre cours aux conversations distrayantes et aux divertissements de toutes sortes), au deuxième ; parfois, un troisième service se rajoute ; et enfin, le dessert ou « fruits » achève le repas.
Malheureusement, les paysans ne profitent guère dans leur foyer de ces améliorations. Les tranchoirs restent leurs assiettes de faïences, le chaudron, leur plat de luxe, le feu, leur chauffage et leur « potager ». Majoritairement en bois, les ustensiles ne semblent pas évoluer, quant à la fourchette, ils n’y pensent même pas…
Bourbons : 1589 - 1791
Bourbons : 1589 - 1791
L’ordonnancement de la table à cette époque lors des banquets reste immuable. Si vous êtes un invité de prestige, vous pourrez siéger au plus près de votre hôte avec tous les avantages que cela comporte dans le service (propre plat et propre couvert) et dans les mets présentés (plus copieux et plus riches), si au contraire, vous êtes placés au plus loin, vous vous contenterez de partager avec votre voisin, des mets moins raffinés.
On retrouve la nef, déjà utilisée à l’époque capétienne, qui contient les épices, salières et parfois les couverts (cuillère, couteau, serviette). Petite différence, à présent, elle est fermée à clefs, ce qui protège le possesseur des empoisonnements, fréquent durant cette période.
Hérité de la fin du moyen-âge, le service dit à la française, cela étant dit qui n’est pas spécifique à la France, malgré son appellation, connaît son apogée durant les deux derniers siècles et déclinera peu à peu au XIXe siècle pour laisser place au service dit à la russe (introduit par le prince Alexandre Kourakine, ambassadeur de Russie en France entre 1808 et 1812). Trois services minimums sont présentés aux convives, les potages et entrées, les rôts (rôtis), petite pause avec les entremets (divertissement) et les fruits ou dessert. La présentation devient un art. La table est couverte d’une pléthore de plats chauds et froids, disposés d’une manière élégante marquée par la symétrie, selon un plan de table élaboré par le maître d’hôtel et qui reste le même du potage aux entremets. Les serviteurs remplacent un plat par un autre de taille identique ou par deux plus petits. Autant dire, qu’ils avaient de la vaisselle en réserve, difficile aujourd’hui d’imaginer d’en ranger une telle quantité dans nos placards ! Le dernier service propose des douceurs, comme des mets sucrés, des pâtisseries, des sucreries, des fruits frais et confits, des crèmes et des fromages. La quantité des plats proposés marque le statut social des maîtres de maison, et de nombreux plats retournent en cuisine à peine touchés. Ce gaspillage aristocratique n’est pourtant pas perdu pour tout le monde, soit le plat est resservi à des tables secondaires (d’où l’importance de son emplacement à table…) ou retourne en cuisine. Là avec un peu d’imagination, les restes sont réutilisés dans d’autres réalisations comme des farces dont se délectent les domestiques. Dans d’autres cas, les denrées sont revendues à des regrattiers (personne qui fait le commerce des regrats, c’est-à-dire des denrées de seconde main) et les gages reviennent aux serviteurs, donc en conclusion, autant surcharger les plats et les laisser le minimum de temps possible… Comment dire, il n’y a pas de petits profits !
A présent, les invités s’accompagnent d’un valet en livrée qui se placent derrière leur chaise. Ce dernier choisit pour son maître ses plats préférés, favorise ses intrigues amoureuses. L’invité doit aussi amener ses propres couverts. Eh oui, trop de vols d’argenterie sont constatés par des valets indélicats… Quelle époque !
Le verre remplace de plus en plus le métal. C’est une matière qui permet de voir et d’apprécier la robe d’un vin. Dans le service à la française, les bouteilles et les verres ne sont pas placés sur la table mais à proximité, sur un buffet ou un rafraîchissoir (bac dans lequel est déposé de la glace ou de la neige afin de maintenir le vin au frais). Les vins sont bus frais, c’est pourquoi il est important d’avoir en permanence de quoi les rafraichir. Pour cela durant l’hiver, la glace est récupérée sur les pièces d’eau puis entreposée dans des glacières ou des grottes artificielles pour pouvoir en disposer toute l’année. Cette glace sert également dans l’élaboration des sorbets. Dans les villes proches de zones montagneuses, il existe même un commerce de neige ! Pour le service du vin, un domestique se tient à la disposition des convives qui d’un signe de tête l’appelle pour être servi. Au cours d’un repas, un même verre peut être utilisé pour différentes personnes ! Il faut attendre le XVIIIe siècle pour que le verre devienne individuel.
Les nouvelles boissons importées des pays lointains font le bonheur de nos aristocrates. Pour mieux les savourer, des pièces de vaisselle sont fabriquées pour leur seul usage. Ainsi la théière oviforme d’inspiration chinoise, la cafetière élancée avec son haut bec verseur, la chocolatière avec son couvercle percé pour y introduire le moussoir. Le sucre qui ne quitte plus désormais les tables de nos fins gourmets remplis les sucriers, et afin de touiller le doux nectar apparaît la petite cuillère. Le pot au lait ou à crème adoucit ces saveurs parfois un peu trop amères. Ces différentes pièces trônent sur des plateaux dits « de cabaret ». Les matières sont nobles : faïence, porcelaine de Chine ou européenne, pour la théière, les tasses et les soucoupes, métal pour la chocolatière, la cafetière, la bouilloire et les petites cuillères, métal et bois précieux pour le moulin à café et les boites à thé, bois précieux ou ivoire pour le moussoir, ébène et bois laqué pour les cabarets.
Même si dans certains logis, il existe des tables en bois massifs depuis la dynastie des Valois d’Angoulême, les tréteaux sont toujours dressés dans la grande salle. Mais pour la première fois en 1634, une « petite salle » meublée de tables et de chaises et séparée des cuisines par un escalier discret est créé à l’hôtel de Sully. Pierre le Muet (né le 7 octobre 15914, mort le 28 septembre 1669, architecte français) inscrit une dizaine d’année plus tard, dans ses plans une pièce nommée « salle à manger ». La table se transforme de rectangulaire à arrondie. Les tables « à l’anglaise » avec des allonges garnissent les salles. Le buffet garni de pâtés salés et de sucreries se place à proximité.
Sous Louis XVI, des pièces sont désormais vouées aux différents moments de collation. Ainsi, la salle à manger, comme son nom l’indique et nous la connaissons bien, sert aux repas. Louis XVI a une préférence pour souper dans la salle à manger dite « des porcelaines », pièce construite en 1769 par Louis XV, dévolue à l’origine pour les retours de chasse. A Versailles, dans le salon de l’Abondance, on peut apprécier les rafraîchissements avec un buffet ou savourer un bon café, du vin et des liqueurs. Dans le salon de Vénus sont dressés des tables remplies de corbeilles de fleurs, de pyramides de fruits frais et rares comme les oranges, les citrons, ou toute variété de fruits confits et de massepains. Bref Versailles est l’équivalent de notre club Med… Vous pouvez vous ravitailler à toute heure de la journée et de la nuit !!!
La renommée de Nicolas Fouquet (né le 24 janvier 1615, mort le 23 mars 1680, surintendant des Finances de Louis XIV) au château de Vaux-le-Vicomte n’est plus à faire. Avec François Vatel (né en 1631, mort le 24 avril 1671) comme pâtissier-traiteur, intendant et maître d’hôtel aux commandes, la table de Monsieur Fouquet est une des plus grandioses de cette époque. Vatel organise les dîners intimes de son « patron » dans une petite salle éclairée le soir par deux lustres de cristal. Sur la table sont déposés une nappe blanche, de l’argenterie, des vases de fleurs, des miroirs et des flambeaux avec leurs bougies, tout contribue à éveiller les sens. Selon la saison, on s’installe dans l’antichambre, dans la galerie ou encore dans le jardin. Pour goûter ou pour les collations de chasse, les buffets sont dressés dans des cabinets de verdure, près d’une fontaine ou de jets d’eau. Et le vin est tenu au frais dans des seaux.
Les maîtres d’hôtel deviennent des personnages de haut rang. Ils dirigent la maison du seigneur et toute sa domesticité. Lors des réceptions, ils portent une serviette blanche (signe de leur pouvoir) sur l’épaule qui par la suite descendra sur son avant-bras. Ils règnent en maître absolu sur le monde des valets, cuisinières et marmitons, veillent à tout, s’assurent qu’on offre à boire dès le premier signe, donnent le signal aux valets pour servir, desservir et changer les assiettes.
Lors d’une invitation, la maîtresse des lieux doit connaître toutes les règles de la convenance. La table doit être recouverte d’une large nappe damassée qui doit pendre de tous côtés jusqu’au sol. Les assiettes d’argent débordent la nappe de quatre doigts environ ; le couvert est placé à droite de l’assiette, jamais en croix, le tranchant du couteau vers l’assiette (fini de venir avec son couteau dans la poche !), le creux de la cuillère vers la nappe. Un cérémonial minutieusement réglé ! Des livres sont même écrits comme « Maiste d’hostel qui apprend l’ordre de bien servit à table » de Pierre David. Ce manuel enseigne à la maîtresse de maison l’art de plier les serviettes de vingt-sept manières, « en pigeon qui couve dans un panier » ou « en poule avec ses poussins ». Malheureusement, il manque à cette magnifique table, l’éclat de la verrerie. Les verres sont déposés sur une desserte et servis à la demande du convive. Chacun s’installe à sa place en fonction de l’ordre rigoureux des préséances. Les hommes conservent, pour dîner, leur chapeau à plumes, leur manteau et leur épée, ce qui ne doit pas être très confortable. Lorsqu’un plat arrive, Madame le leur présente et ils doivent se découvrir et s’incliner ! Après le « Benedicte », que chacun écoute debout et découvert commence le ballet des plats. Malgré ce cérémonial pompeux, les notions d’hygiène et de propreté ne sont pas encore en vigueur, et la façon de manger de certains convives pourraient nous paraître dégoutante. Ils ne savent ni manger proprement ni se tenir à table. L’usage de la fourchette, pourtant connu depuis le XVIe siècle, est toujours peu utilisée dans la haute bourgeoisie, il faut attendre le XVIIIe siècle. Donc vive les mains et les dents bien acérés !
Le petit personnel proche du service de table se doit d’être discret, le personnel muet est donc le bienvenu ! Il est éloigné de la table en plaçant des « servantes », c’est-à-dire de petites dessertes sur lesquelles sont entreposées les plats et les bouteilles. A l’époque, les cuisines sont éloignées de la salle à manger, il y a donc des porteurs. Dès que le porteur est changé, le goûteur apparaît et vérifie que le plat n’a pas été empoisonné. Dure période ! Dans le service du roi, les serviteurs de table appartiennent en général à la noblesse.
Tout comme sous François 1er, l’or et l’argent désertent les tables. Les caisses, souvent vides, doivent être ravitaillées par la vaisselle. Ainsi en décembre 1689, Louis XIV en guerre contre les Pays-Bas, fait apporter à la Monnaie tous ses meubles, et même son trône en argent massif. En juin 1709, l’opération se répète en envoyant à la fonte une partie de sa magnifique vaisselle d’or. Les courtisans doivent se montrer conciliant et participer à l’effort de guerre. Certains le font avec plus ou moins d’enthousiasme, d’autres cachent leurs plus belles pièces en ne sacrifiant qu’une petite partie de leur argenterie. Louis de Rouvroy, duc de Saint-Simon (né le 16 janvier 1675, mort le 2 mars 1755, pair de France et courtisan) dit « Ce bruit de vaisselle fit un grand tintamarre à la cour : chacun n’osait ne pas offrir la sienne ; chacun y avait grand regret ». Le roi, finaud et déterminé, pointe tous les soirs la liste des généreux donateurs… Et celle-ci est publiée dans « Le Mercure galant », la grande revue de l’époque.
La porcelaine, un rêve français : En France, on veut connaître les secrets de la fabrication de la porcelaine. Le seul petit souci, c’est qu’il faut du kaolin. Les Chinois emploient depuis des millénaires ce kaolin qui rend leurs assiettes superbes et translucides. En 1740, une manufacture est créée à Vincennes. De nombreux essais se soldent par des échecs. L’entreprise devient ruineuse et un des associés demande à Mme de Pompadour (née le 29 décembre 1721, morte le 15 avril 1764, maîtresse de Louis XV) d’interférer en sa faveur auprès du roi. En 1753, Louis XV investit pour un quart du capital dans la fabrique et la manufacture devient royale. Sur ordre de sa majesté, la construction de bâtiments à Sèvres est décidée. Le chantier va traîner et pendant cinq ans va engloutir des crédits colossaux. En 1760, le roi rachète les dettes, indemnise les associés et devient propriétaire de la manufacture de Sèvres. En 1768, c’est la grande découverte : des gisements de kaolin à Limoges ! La porcelaine française de haute gamme est née. Tous les Noël, le roi expose des produits de sa manufacture. Le fameux bleu cobalt, les roses vifs, les verts, les décors d’oiseaux, de dieux mythologiques, les assiettes, les vases sont admirés par l’Europe entière. Désormais, les plats deviennent des œuvres d’art, chaque couvercle peint de guirlandes de fleurs à sa poignée en forme de gibier, de poisson ou de crustacé. En 1777, la tsarine Catherine II achète pour plus de mille pièces. Sous l’empire, un jeune ingénieur, Alexandre Brongniart dirige l’entreprise de porcelaine, Napoléon la visite et garnit son vaisselier de porcelaine. Depuis, l’État fournit toujours à Sèvres les crédits nécessaires pour produire ses merveilles.
Durant les Bourbons, les pièces de vaisselle se diversifient et se spécialisent de plus en plus. Les aristocrates étalent leur linge de table (nappes, serviettes), leurs assiettes, leurs plats, leurs verres… au nez et à la barbe des plus démunis. Pour les grands festins, si on ne dispose pas de suffisamment de pièces, on peut accéder à un service de location de vaisselle et de pièces d’orfèvrerie que l’on n’hésite pas à exhiber sur des dressoirs, rien n’est trop beau pour exposer sa richesse. Autre spécificité, la fourchette, désormais présente et utilisée, est tournée vers les convives qui peuvent ainsi lire les armes de la famille. Le dormant, élément central disposé au centre de la table, peut être en bois, en faïence, en verre, en biscuit ou en argent. Dessus, on dépose les huiliers, les vinaigriers, les pots à épices qui se cachent parfois derrière des petits jardins ou des bougies de feu d’artifice.
La renommée de la cuisine française : Fini l’apparat de l’époque des Valois où seul le visuel prévalait sur la gastronomie. Avec Louis XV, père de la gastronomie française, la cuisine s’invente, se bonifie et s’expatrie. Quelle soit régionale ou nationale, la réputation des cuisiniers français fait le tour de l’Europe. Si sous Louis XIV apparaît les cafés luxueux et mondains avec le fameux Procope ouvert en 1686, son arrière-petit-fils, quant à lui, connaît les premiers restaurants…
Mais ces somptueux banquets restent l’apanage des riches aristocrates. Bon nombre de prince, tout comme les paysans, continuent de dîner à la fortune du pot qui mijote dans la cheminée. Et selon la saison, le pot se remplit de carottes, de navets, de poireaux, de panais, éventuellement d’un morceau de lard ou de volaille, comme le souhaite notre bon roi Henri IV (né le 13 décembre 1553, mort le 14 mai 1610, roi de France) avec la poule au pot. Le bois et la terre cuite restent les matériaux les plus utilisés par les gens du peuple.